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L’esclavage oublié : celui des Blancs par les Nord-Africains

L’esclavage oublié : celui des Blancs par les Nord-Africains
Publié Poste laique le 26 juillet 2010 par Catherine Ségurane – Article du nº 155

Robert C. Davis, l’auteur de Christian Slaves, Muslim Masters, remarque que les historiens américains ont étudié tous les aspects de l’esclavage des Africains par les Blancs mais ont largement ignoré la réduction en esclavage des Blancs par les Nord-Africains. L’histoire de l’esclavage méditerranéen est, en fait, aussi sombre que les pires descriptions de l’esclavage américain. Le professeur Davis, qui enseigne l’histoire sociale italienne à l’Université d’Etat de l’Ohio, projette une lumière perçante sur ce coin fascinant mais négligé de l’histoire.

Essayant de chiffrer le nombre de victimes, le professeur Davis conclut : «Entre 1530 et 1780, il y eut presque certainement un million et peut-être bien jusqu’à un million et un quart de chrétiens européens blancs asservis par les musulmans de la côte barbaresque». Cela dépasse considérablement le chiffre généralement accepté de 800.000 Africains transportés dans les colonies d’Amérique du Nord et, plus tard, dans les Etats-Unis.

Pourquoi y a-t-il si peu d’intérêt pour l’esclavage en Méditerranée alors que l’érudition et la réflexion sur l’esclavage des Noirs ne finit jamais? Comme l’explique le professeur Davis, des esclaves blancs avec des maîtres non-blancs ne cadrent simplement pas avec «le récit maître de l’impérialisme européen». Les schémas de victimisation si chers aux intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches.
ENJEUX POLITIQUES

La méconnaissance de l’histoire de la piraterie barbaresque répond à plusieurs objectifs politiques, à savoir :

1) dans une démarche raciste, jamais sanctionnée ni même soulignée, puisqu’il s’agit de racisme autorisé (anti-Européens), essentialiser les blancs en tant que « méchants » absolus ; alors même que la situation des esclaves blancs d’Alger était d’une barbarie rarement égalée (précisons que la présence d’esclaves noirs était numériquement faible en Alger ; pour ceux qui voudraient creuser ce dernier sujet, nous donnons en note quelques liens parlant de la Régence de Tripoli, l’un des principaux points d’arrivée de la traite transsaharienne) ;

2) poursuivre l’entreprise de culpabilisation post coloniale de la France et de l’Europe en escamotant le fait que la conquête de l’Algérie fut le seul moyen d’en finir avec les razzias maritimes esclavagistes, un fait incontournable même si des motifs plus intéressés existaient sans aucun doute aussi.

On en est arrivé au point où l’Algérie dresse statues et plaques commémoratives à l’un de ses pirates, le « raïs » (capitan) Hamidou, et donne des noms de pirates à ses navires de guerre, tout en revendiquant excuses et dommages-intérêts auprès de la France pour avoir mis fin à ces pratiques. La Lybie, elle-même héritière de la Régence de Tripoli, autre haut lieu de l’esclavage (blanc et noir dans ce cas) a obtenu une telle indemnisation de l’Italie, un des pays qui a été le plus victime des razzias côtières barbaresques

Quand on marche sur la tête …

3) escamoter le rôle de l’islam

4) inventer une Algérie pré-coloniale
EUROPEENS VICTIMES D’UNE BARBARIE RAREMENT EGALEE

Esclaves et voyageurs ont tous relevé la barbarie des maîtres algérois : coups, tortures, travail épuisant sur les galères, mutilations, viols pour les femmes et les jeunes garçons.

La Régence d’Alger, redoutable nid de pirates barbaresques et important marché aux esclaves, a été décrite tout au long de son existence par plusieurs Européens, esclaves ou diplomates. On citera parmi eux Diego de Haedo (esclave vers 1580) , Emanuel d’Aranda (esclave en 1640 et 1641) , le Chevalier d’Arvieux (diplomate en poste en Alger en 1673 ; conseiller de Molière pour le Bourgeois Gentilhomme) et Jacques-Philippe Laugier de Tassy (diplomate en poste en Alger en 1718).

Nous renvoyons aux ouvrages de ces témoins accessibles en notes.
PAS D’ERADICATION DE LA PIRATERIE ALGEROISE SANS CONQUETE DU PAYS

Eradiquer la piraterie de la côte des Barbaresques avait été un enjeu constant pour les Européens pendant trois cents ans. Des bombardements du port d’Alger s’étaient produits à différentes époques, non sans résultat pour un temps, mais sans apporter de solution définitive. Laissée libre, Alger reconstituait sa marine.

Des bombardements américain et anglais avaient eu lieu en 1815 et 1816. Ils avaient eu quelque effet. D’où les tentatives qui sont faites en permanence pour faire croire que la marine algéroise n’existait plus en 1830 au moment de la conquête française, ce qui est totalement infirmé par Albert Devoulx ; ce dernier, qui possède la double qualité d’archiviste professionnel (il a retrouvé et analysé, entre autres précieux documents, le registre des prises des pirates d’Alger) et de témoin (il a interviewé l’un des derniers capitans d’Alger), est une source majeure qu’on s’étonne de ne pas voir citer plus souvent.
Devoulx a tenté un chiffrage de la force navale algéroise pour les périodes où des données étaient disponibles. Il montre qu’à la veille de l’intervention française, la marine algéroise, quoique mise à mal par les bombardements de 1815 et 1816, n’était en rien détruite, ni même à son plus bas historique. Elle avait même opéré une belle remontée entre 1817 (7 navires) et 1827 (16 navires).

Les estimations de Devoulx époque par époque sont les suivantes :

1510 : 45 bâtiments ; 1530 : 60 navires ; 1581 : 35 galiotes, 25 « frégates » (ici : petits navires à rames non pontés) ; 1634 : 4 galères, 1 brigantin, 8 « frégates », 70 navires ronds ; 1674 :26 batiments ; 1676 : 28 navires ; 1724 : 24 navires ; 1737 : 17 navires ; 1740 : 14 navires ; 1744 : 6 navires ; 1753 : 22 navires ; 1759 : 30 navires ; 1762 : 47 navires ; 1769 : 15 navires ; 1787 : 13 navires (noter que le chiffre de 1769 est presque reconstitué malgré les bonbardements espagnols de 1783 et 1784) ; 1796 : 23 navires ; 1801 : 5 navires ; 1802 : 20 navires ; 1817 (soit deux ans après une sévère expédition américaine contre Alger, dite « Second Barbary War », et un an après l’expédition anglaise de Lord Exmouth) : 7 navires, 120 canons ; 1818 : 11 navires ; 1820 : 14 navires ; 1827 : 16 navires.

Ce chiffre de 16 navires en 1827 montre qu’Alger a quasiment reconstitué sa flotte depuis les sévères corrections de 1815 et 1816 ; elle est cependant sous blocus français ; Devoulx donne la liste de ces navires et leur armement, à savoir :

3 frégates : 1 de 62 canons, nommée Meftah el-Djihad, la clé de la guerre sainte (était à Alexandrie depuis près de trois ans lors de la prise d’Alger) ; 1 de 50 canons, appelée Bel Houaz, ou Et-Touloniya la Toulonnaise ; 1 de 40 canons nommée Rehber Iskender,le guide d’Alexandre, (se trouvait à Alexandrie depuis plus de trois ans, lors de la prise d’Alger.)

3 corvettes : 1 de 40 canons, nommée Fassia ; l de 36 canons, appelée Mashar tawfik, l’objet de la protection divine ; 1 de 24 canons, dite Kara, la Noire.

2 bricks de 16 canons, dont 1 nommé Ni’met el-Houda, les grâces de la voie du salut.

1 polacre de 20 canons

5 goélettes : 1 à trois-mâts de 24 canons, appelée Mansour, Victorieux, et aussi Nser el-Islam, la victoire del’islamisme ; l de 16 canons ; appelée Fetihié ; 2 de 14 canons, dont 1 nommée Chahin deria, la Terreur des-mers, et 1 nomméeDjeiran, la Gazelle ; l de 12 canons, appelée Tsouria, les Pleïades.

2 chebecs : 1 de 10 canons ; 1 de 4 canons (utilisé par les Français, qui l’appelèrent le Boberach).

Total : 16 navires, 398 canons.

La dernière tentative pour forcer le blocus français d’Alger est menée le 4 octobre 1827 par 11 navires que Devoulx pense être : la Toulonnaise, la Fassia, la Mashar Tasfik, la Kara, le polacre de 20, le brick Nimet el Houda, un autre brick de 16, les goelettes Mansour, Fetihie et Tsouriyia (cette dernière commandée par le « raïs » Hassan, qui confia à Devoulx avoir participé au combat), une autre goelette de 14.
ROLE STRUCTURANT DE L’ ISLAM

A la grande époque de la piraterie, Alger est un peu turque mais pas vraiment : son lien de vassalité avec Constantinople ne cesse de se distendre.

Elle pourrait être un peu algérienne par le droit du sol mais elle a fort peu de relations avec son arrière pays.

Elle pourrait être un peu européenne selon le droit du sang : outre les esclaves amenés de force, elle attire les mauvais garçons de toute l’Europe et leur doit sa connaissance des techniques de navigation modernes et donc sa dangerosité. Mais il est clair qu’elle n’a rien d’européen par le droit du coeur.

Elle constitue, avec les autres régences barbaresques, une entité autonome entièrement dédiée à la piraterie et structurée par l’islam. Cette religion, avec sa théorie du jihad permanent, offre un cadre idéal à l’épanouissement d’une piraterie paperassière et administrée, mais pas pour autant régulée.

Le corso barbaresque s’insère dans un cadre étatique (l’Empire ottoman et ses Régences indisciplinées) toujours assez fort pour protéger le pirate et toujours trop faible pour s’en faire obéir et le réguler.. Il s’insère aussi dans le cadre d’une religion empreinte de juridisme, mais sans que ce juridisme apporte la moindre diminution de la violence, puisque précisément l’Infidèle, à la base, n’est pas sujet de droit, ce qui réduit à l’état de chiffon de papier les couteux « Traités de paix » que les puissances occientales peuvent conclure avec la Sublime Porte et ses Régences. Ces traités destinés à être violés après avoir apporté des avantages, apportent aux Régences pirates le beurre et l’argent du beurre, le butin sans le combat.
Dans les Régences barbaresques, le régulateur est introuvable. Ni l’autorité étatique, ni l’autorité religieuse ne jouent ce rôle bien que l’État soit présent pour faciliter la prédation (les puissances européennes n’auraient pas laissé subsister les Régences si la Sublime Porte n’avait pas été derrière), et l’autorité religieuse de même (en développant l’idée de Jihad permanent).

Ces Régences, dont Alger, sont donc le paradis des pirates, qui ne s’y trompent pas et qui affluent de partout.

Laugier de Tassy relate la façon dont se passe la rencontre entre un barbaresque et un navire de commerce d’un pays ami. Le raïs n’a pas le droit d’interprêter les traités de paix de façon « laxiste ». Il arraisonne donc le navire et lui demande de l’accompagner en Alger pour vérifications.

Celles-ci se déroulent devant le Consul du pays concerné. S’il s’avère que le navire n’aurait pas dû être arraisonné, on le laisse repartir, ou du moins on laisse repartir les passagers. Pour les marins, il leur faut prouver, oui, prouver, qu’ils ne se sont pas défendus, car alors, cet « acte de guerre » évident les rendrait bons pour l’esclavage.

A supposer donc, que, bien que protégé en principe par un coûteux traité de paix, le navire se soit laissé arraisonner sans résistance et conduire en Alger ; à supposer que les autorités du pays aient bien voulu reconnaître qu’il avait vocation à être libéré avec tout ou partie de ses occupants, il n’est pas pour autant tiré d’affaire, car la « paix » peut être rompue à tout moment, comme Laugier de Tassy nous l’explique :

En 1716, nous dit-il, les corsaires ne faisaient presque plus de prises. Donc :

« La milice fit assembler le Divan, où elle représenta qu’il ne se rencontraient plus de batiments ennemis à la mer. Que tous ceux qu’ils trouvaient étaient français, anglais ou hollandais ; que, le pays ne pouvant se soutenir sans faire de prises, il fallait déclarer la guerre à une des trois nations à la pluralité des voix. »

C’est la Hollande qui est choisie.

« On arrêta donc en même temps un navire de cette nation qui était dans le port ».

Le Dey en est bien désolé pour le Consul de Hollande, un homme qu’il apprécie :

« Il donna au Consul autant de temps qu’il en voulut pour rêgler ses affaires, il le consola et le plaignit. Ce consul était fort aimé du Dey, et il avait une réputation bien établie parmi les Chrétiens, les Turcs et les Maures. »

Le Consul de Hollande est traité avec tous les ménagements possibles, mais les marins hollandais entrés en amis dans le port sont dirigés vers les bagnes d’Alger.

Pendant le traité de paix, la guerre continue …
INVENTER UNE ALGERIE PRE-COLONIALE

Avant la conquête française, Alger n’est en rien la capitale d’un Etat algérien inexistant. C’est une cité autonome, ayant une population spécifique : Arabes et Berbères n’y sont peut-être même pas majoritaires, ou alors de peu. Nous verrons plus loin l’importance des populations allogènes, en particulier turque et européenne.

A sa grande époque, Alger vit au rythme d’un monde maritime mondialisé ; parmi ses grands capitans, Simon Dansa est né à Dordrecht et marié à Marseille ; Jans Janszohn, alias Mourad Raïs le jeune, né à Harlem, a des femmes des deux côtés de la Méditerranée, et un probable fils qui émigre à New York (ville qui venait à peine d’être fondée), faisant de lui le possible ancêtre d’Humphrey Bogart et de Jacqueline Kennedy (voir en sources l’article sur les Hollandais et Anglais à Alger). On pourrait multiplier les exemples.

La lingua franca (celle du Mamamouchi de Molière) est très répandue, peut-être autant que l’arabe dialectal et que le berbère, y compris au sein des familles lorsque la femme est une esclave, ce qui constitue le cas le plus courant et non une exception.

Quelques noms algérois : Hassan Veneziano (« le Vénitien ») ; Mami Arnaute (« l’Albanais ») ; Ali Bichnin (Piccinini, nom italien) ; Mahomet Celibi Oïga (patron temporaire et ami d’Emanuel d’Aranda) ; Saban Gallan ; Mezzamorto (nom d’un pirate redoutable, un temps à demi-mort mais qui a bien récupéré ensuite).

Il serait donc injuste d’imputer aux arabes et berbères toute la responsabilité de la piraterie barbaresque ; en revanche, il est juste d’imputer à l’islam, qui était l’élément structurant de la piraterie algéroise, sa pleine responsabilité ; et d’imputer à l’actuel gouvernement algérien la continuité qu’il revendique avec les pirates en leur prodiguant toutes les marques d’honneur officiel et en diabolisant la résistance victorieuse que leur opposa la France.

Quant aux tribus qui peuplent l’arrière-pays, leur histoire reste à écrire, mais elles ne constituent pas un peuple.

Cet arrière-pays est mal connu et redouté, tant par les esclaves (un enlèvement secondaire par une tribu l’enverrait dans l’Afrique profonde, et mettrait un terme définitif à tout espoir de rachat ou d’évasion) que par les Algérois de souche. Alger reste une cité-Etat autonome ayant peu de rapports avec ce qui est aujourd’hui le reste du territoire algérien.
LA POPULATION ALGEROISE

La Régence d’Alger, capitale du corso barbaresque sème la terreur sur les mers du XVI ème au XIX ème siècles. C’est une vassale très remuante de l’Empire ottoman, un nid de pirates, un marché d’esclaves, principalement blancs, et une ville ingouvernable habitée par une population très hiérarchisée se décomposant comme suit :

Les Turcs, arrogants et brutaux, sont recrutés parmi les pires brigands de Turquie et tiennent le haut du pavé à Alger ; ils sont en général célibataires, à la fois parce que Constantinople décourage leur mariage et parce que les femmes turques refusent de venir en Alger ; leurs amours se déroulent soit avec des esclaves chrétiennes, soit entre hommes ; s’ils viennent à épouser des femmes musulmanes indigènes, leurs enfants, les Kouloughlis, conservent un statut inférieur ; dans le contexte d’Alger, les Turcs sont bien entendu libres, mais on les appelle quand même des Janissaires ; ce sont les vrais maîtres d’Alger, puisqu’à toutes les époques le principal souci du Régent, qu’il soit Pacha, Agha ou Bey, sera d’assurer leur solde ; cependant, et paradoxalement, à partir de la période dite des Aghas (1659-1671) , Alger se veut indépendante de Constantinople ;

Les « Maures », « naturels du pays » selon d’Arvieux, n’ont aucune part dans le gouvernement ; probablement faudrait-il distinguer ici entre Arabes et Berbères, mais les auteurs d’autrefois ne le font pas, et l’on se gardera d’avancer sans sources sur ce terrain ;

Les Juifs autochtones occupent le bas de l’échelle sociale et sont soumis à des mesures vexatoires (habits noirs, quartier réservé) ; les juifs étrangers se livrant au commerce international, appelés « juifs chrétiens », ne sont pas soumis à ces mesures ; ils s’habillent à l’européenne, vivent où ils veulent, font juger leurs litiges par le Consul de France et sont les maîtres du commerce international ; les prises des capitans sont vendues dans toute l’Europe par l’intermédiaire de leurs cousins de Livourne (port franc près de Pise en Italie, capitale du recel et de l’argent noir pour les pirates des deux bords) ; certains juifs ont été expulsés d’Espagne à l’occasion de la Reconquista, et partagent le désir de vengeance des Morisques ;

Les Morisques gardent le souvenir du temps d’avant la Reconquista, quand ils habitaient l’Espagne ; ils sont particulièrement haineux envers les chrétiens, particulièrement avides de vengeance, et capables de l’exercer puisqu’il connaissent les côtes d’Espagne et peuvent indiquer où opérer des razzias ; leur processus d’expulsion de l’Espagne s’étend sur deux siècles et la haine se capitalise en boucle : plus ceux restés en Espagne (ou récemment immigrés en Alger) servent d’indicateurs pour les razzias, plus les expulsions se multiplient par représailles (ou par simple mesure de sécurité), plus la haine envers l’Espagne augmente, plus elle incite les Morisques des deux rives à aider aux razzias (ici, la boucle est bouclée et l’on repart : les razzias entraînent de nouvelles expulsions).

Les Européens constituent une part considérable de la population d’Alger, soit comme esclaves, soit comme renégats (« Turcs de profession ») ; ces derniers, paradoxalement, constituent (plus au début qu’à la fin tout de même) une grande part de la piraterie algéroise ; il s’agit souvent d’esclaves qui ont réussi à sortir de leur condition, mais aussi, plus souvent qu’on pourrait croire, d’immigrés volontaires ; pour un gredin doué pour la navigation, Alger est pleine de promesses ; l’Européen qui se convertit à l’Islam est considéré comme Turc, ce qui lui donne le statut le plus élevé possible dans la Régence d’Alger ; aucun poste ne lui est fermé, pas même celui de Régent ; à ces stratégies individuelles, on ajoutera des phénomènes politiques ayant entraîné des immigrations par vagues en provenance de certaines origines à certaines époques (Corses préférant être musulmans que Gênois ; Anglais et Hollandais à l’époque où Alger était le meilleur point de départ possible pour attaquer les galions espagnols ; anciens Chiens de Mer d’Elisabeth première d’Angleterre ayant perdu leur lettre de marque sous Jacques 1er) ; la composante européenne de la ville n’est en rien marginale ou passagère ; l’Islam n’est pas particulièrement un obstacle, au moins pour ceux qui viennent du nord de la Méditerrannée ; des caractéristiques telles que l’esclavage ou la polygamie ne sont pas répulsives pour tout le monde (tout dépend si l’on s’identifie au prédateur ou à la victime) ; le capitan renégat, qui risque gros s’il est jugé en Europe, a vocation à rester en Alger, contrairement au janissaire turc venu pour faire fortune rapidement (s’il le peut) et repartir ; les Européens sont partout, y compris au coeur de la structure familiale algéroise, à condition de ne pas oublier de voir les femmes (ni leurs amants) : le janissaire dissuadé d’épouser une musulmane du pays fait souche avec une esclave chrétienne ; l’esclave domestique chrétien, supposé invisible, rencontre librement les femmes des familles musulmanes les plus fermées à leurs voisins, et fait plus d’une fois souche sous le nom de son maître ; pour autant, c’est bien l’islam qui structure ce nid de pirates.

L’ensemble compose une population des plus étranges, dont une majorité a vocation à mourir rapidement (esclaves de rame, femmes répudiées jetées à la rue, fillettes accouchant à 11 ou 12 ans), à vivre en célibataires (esclaves, janissaires), à séjourner provisoirement (pachas triennaux, esclaves de rachat), ou à ne faire souche que dans des conditions irrégulières (esclaves domestiques, janissaires dissuadés de se marier sur place). L’homosexualité est à peu près institutionnalisée et pratiquée bien au-delà de la minorité de personnes qu’elle attire naturellement. En Alger, les femmes sont absentes ou enfermées, les janissaires sont souvent célibataires, et les esclaves, que leurs maîtres oublient souvent de nourrir, cherchent des ressources où ils peuvent. Ces circonstances créent à la fois une offre et une demande de prostitution masculine.

A ces données démographiques déjà peu favorables à la reproduction, on ajoutera les pestes récurrentes ; et pourtant, la population de la ville se maintient, largement du fait de l’immigration volontaire ou forcée ; Alger conserve son pouvoir de nuisance.

Les principales forces politiques d’Alger sont l’Odjak (milice) des Janissaires et la Taiffa (corporation) des « raïs » (capitans), toujours en rivalité l’une avec l’autre. Le Régent d’Alger, plus ou moins inféodé à Constantinople selon les moments, navigue entre l’une et l’autre en cherchant d’abord à rester en vie, et ensuite à s’emparer de tout l’argent qui passe à sa portée.

Tous ceux qui arrivent en Alger volontairement, qu’il s’agisse du Régent, de janissaires ou de renégats européens, sont attirés par les possibilités d’enrichissement rapide qu’offre la ville. Sous le vernis des différences de classe sociale ou de religion, tous sont des aventuriers.

La ville, sous perpétuelle menace d’une attaque européenne, est enfermée dans ses remparts, et l’entassement y est évident. A peu de distance, les familles riches ont des maisons de campagne où elles peuvent prendre l’air.

Catherine Ségurane

Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters: White Slavery in the Mediterranean, the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave Macmillan, 2003, 246 pages, 35 dollars US.
Présentation de l’ouvrage par Thomas Jackson : http://library.flawlesslogic.com/slavery_fr.htm

Jacques Heers, Les Barbaresques – La course et la guerre en Méditerranée (Poche- Boîte) : http://www.decitre.fr/livres/Les-Barbaresques.aspx/9782262028664

Relation de la captivité et liberté du sieur Emanuel d’Aranda ; lisible en ligne : 7asUyH2yg1lErHghMOM&hl=fr&ei=ObAtTKz1Lp-JOKDr3dQB&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=5&ved=0CC4Q6AEwBA#v=onepage&q&f=false
Emanuel d’Aranda relate sa captivité en un style moderne et facile à lire.

La marine de la Régence d’Alger, par Albert Devoulx : http://www.boberach.de/downloads/marineregencealger.pdf ;
Le raïs Hamidou, par Albert Devoulx : http://tamelaht.unblog.fr/files/2007/08/raishamidou.pdf ; biographie d’un pirate d’Alger ;
numérisés et lisibles en ligne ; Devoulx est une source incontournable (quoique contournée) ; non seulement c’était un archiviste professionnel, mais il a vécu sur place et rencontré les derniers pirates d’Alger.

Algérie Ancienne : http://www.algerie-ancienne.com/
Ce site absolument encyclopédique contient les ouvrages de Diego de Haedo, du Chevalier d’Arvieux et de Philippe Laugier de Tassy, qui ont tous vécu en Alger soit comme esclaves soit comme diplomates ; il n’est malheureusement possible de placer de lien que vers la page d’accueil du site et non vers les pages intérieures ; vous devrez donc fouiller un peu vous-même pour lire ces ouvrages en ligne.

Articles de synthèse par Mary Reed :
Le corso barbaresque : http://knol.google.com/k/le-corso-barbaresque#
La Régence d’Alger, capitale de l’esclavage blanc : http://knol.google.com/k/la-régence-d-alger-capitale-de-l-esclavage-blanc#
Hollandais et Anglais parmi les pirates barbaresques : http://knol.google.com/k/hollandais-et-anglais-parmi-les-pirates-barbaresques#
Ali Bitchnin (Vénitien de naissance, amiral des galères et plus ou moins Roi d’Alger) : http://knol.google.com/k/ali-bitchnin#
La Lingua Franca (langue véhiculaire parlée par les esclaves) : http://knol.google.com/k/la-lingua-franca-langue-véhiculaire-de-la-méditerranée-barbaresque#

Sur la Régence de Tripoli (Lybie) :
Marché d’esclave total, où la marchandise blanche arrivait par mer et la noire par le désert
http://cdlm.revues.org/index37.html ; http://www.zmo.de/Mitarbeiter/Lafi/tripolie-de-barbarie.pdf
« Port de mer et

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